Saturday, September 8, 2007

Les Islamistes Marocains
sous le Contrôle du Roi
José Garçon - Liberation

La lanterne est le symbole du PJD au Maroc
(source: alhariir.maktoobblog.com)

«La gestion des islamistes par Mohammed VI, c’est du cousu main. En dépit des efforts pour éradiquer les bidonvilles, il sait que le désespoir généré par la misère ne disparaîtra pas à court terme. Alors il travaille dans quatre autres domaines : la religion, l’intégration des modérés au système, les lois… et la contrainte», résume un proche du Palais. «Commandeur des croyants», le roi tente avant tout de moderniser le champ religieux et de saper l’argumentaire servant de base aux terroristes en montrant qu’il n’a aucun fondement religieux.

Effet boomerang. Un an après son intronisation, les mosquées ont commencé à alphabétiser la population dans les zones les plus pauvres. Succès immédiat, surtout auprès des femmes. Mais l’effet boomerang n’est pas exclu, les islamistes pouvant capitaliser le bas niveau d’instruction acquise pour endoctriner à coup de tracts simplistes. Reste qu’en ces temps d’extrémisme religieux, le manuel du ministère des Affaires islamiques inculque tolérance, citoyenneté et leçons sur la Constitution en des lieux jouissant d’un vrai capital de sympathie.

Autre exemple : la nomination en 2006 de cinquante prédicatrices, les morchidate (conseillères). Même si aucun texte n’interdit expressément que des femmes soient imams, le problème a failli mettre le feu aux poudres. Un comité présidé par le roi a alors tranché, assurant que «les femmes n’étaient pas habilitées à diriger la prière». Cette révolution n’a pas eu lieu puisque les morchidate ne feront que «préparer les esprits à recevoir l’enseignement religieux». Mais l’affaire a relancé la discussion sur la possibilité d’interpréter la tradition religieuse.
La guerre feutrée entre l’Etat et les islamistes radicaux de al-Adl wa al-Ihssan, l’association de cheikh Yassine est aussi un modèle en son genre. Au printemps 2006, le lancement par les adlistes de «Journées portes ouvertes» dans les quartiers les plus marginalisés des grandes villes, a montré leur volonté de s’ouvrir à la société et de ¬recruter de nouveaux adeptes, après avoir formé des leaders religieux dans la clandestinité. Les autorités y ont mis fin en interpellant de nombreux militants, mais surtout en s’emparant de tous les fichiers informatiques de l’association.

Depuis, elles soumettent wa al-Ihssan à un harcèlement légaliste, interdisant telle branche locale qui n’avait pas tenu son assemblée générale en temps et en heure ! La tactique vise à éviter la répression aveugle qui aurait permis aux adlistes d’apparaître comme des martyrs…

Grâces royales. Même souci à l’égard des jihadistes. La répression qui s’est abattue sur les milieux islamistes à partir de 2001 et après les premiers attentats kamikazes de 2003 - torture, procès expéditifs et lourdes condamnations - a eu des effets ravageurs. «Elle a réveillé des réseaux salafistes endormis», estime un avocat. Dès 2005, cette répression - incarnée par le général Lâanigri, déchargé de ses fonctions de chef de la Sûreté nationale en septembre 2006 - a donc été «corrigée» par des gestes d’ouverture. Des grâces royales ont vidé les prisons des détenus islamistes (il en resterait un plus de 400) avant une première début 2007 : la cassation du procès de deux figures de la mouvance salafiste condamnées à vingt ans de réclusion. Volonté d’éviter une radicalisation du milieu carcéral travaillé par les djihadistes ? Réveiller, en les appâtant, des réseaux dormants en liberté ? Ne pas donner d’arguments à la base des islamistes «légaux» du PJD (Parti pour la justice et le développement) pour contester sa direction jugée trop modérée? Il y a sans doute un peu de tout cela à la fois.

Malgré ce cousu main, la progression attendue du PJD après les élections de vendredi préoccupe. Bien sûr, le mode de scrutin favorise l’émiettement et le découpage électoral fait la part belle aux zones rurales où les islamistes sont peu implantés. Leurs progrès obligeront pourtant les autres partis à se définir à partir de leurs propositions au Parlement. «Mais surtout, nous sommes otages de nos lois», estime l’écrivain Driss Kiskès. Une allusion aux lois qui existent sur l’alcool, la mixité, le strict respect du ramadan en public… Et dont les islamistes n’auraient qu’à demander l’application.


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